Nous sommes la France
Natacha Polony
Nous présentons assez rarement d'ouvrages polémiques de commentaires de l'actualité la plus chaude, mais celui-ci, rédigé de façon méthodique par une journaliste que l'on voit quand même de moins en moins sur les plateaux depuis quelques mois, ne manque pas d'intérêt.
Elle explique dans son introduction que ce livre vif, presque une lettre ouverte ou un pamphlet car elle a un vrai sens de la formule, a été écrit en quelques semaines à la fin du printemps dernier en écoutant les déclarations et en observant les décisions de nos principaux "leaders d'opinion" et décideurs après les attentats de janvier (et donc avant ceux du mois dernier, ce qui en renforce l'intérêt). Refusant d'être "assignée à résidence idéologique", elle pose cette simple question : "Si nous sommes la France, comme certains ont voulu le proclamer après les attentats, qui est ce 'nous' ? ... Qu'est-ce qui peut nous donner espoir de nous sentir de nouveau constituer un peuple qui ne soit pas partiel, amputé de l'une ou l'autre de ses composantes ?" Elle procède ensuite en trois grandes parties ("Le festival du déni", "Un état des lieux et des dégats", "Que faire ?") à une charge résolue contre tous ceux dont elle estime qu'ils refusent la réalité, qu'ils intrumentalisent les événements ou qu'ils dénaturent les faits. Chacun "en prend pour son grade", l'exécutif en tête ("François Hollande joue les funambules" est sans doute la formule la plus gentille), à l'intelligensia parisienne, celle qui favorise "l'inversion fascinante qui permet de transformer les premiers coupables en victimes, au choix, de la discrimination, du colonialisme, de la France en général", malhonnêteté intellectuelle qui "a quelque chose de profondément choquant, pour ne pas dire abject". La charge est argumentée : on compte trois, quatre ou cinq citations et références par page, pour bien rappeler ce que les uns et les autres ont effectivement dit ou écrit depuis plusieurs mois. La question de la jeunesse (des banlieues mais pas seulement) "privée de grand récit national" est longuement traitée, celle de l'école avec ses défaillances également (car elle n'a pas "apporté ce savoir dont les humanistes pensaient qu'il était la condition de notre humanité"), celle aussi de la religion et de la place qu'elle doit avoir dans notre société, Natacha Polony rappelant ici que les représentants de l'Eglise de France n'ont pas été les derniers à entretenir la confusion. BHL, Kouchner, Sarkozy, les tenants de l'atlantisme et les néoconservateurs, "les alliances douteuses qui ont transformé la politique extérieure de la France en un alignement fantomatique sur la diplomatie américaine", la confusion entre "savoirs" et "opinions", tout y passe. Il faut donc se résoudre à accepter la question que tous refusent d'aborder sur le fond : qu'est-ce qu'une identité ? Et une identité nationale ? Un gros mot ? Une volonté. Et "pour qu'il y ait cette volonté, pour que perdure cette âme, ce principe spitiruel, il faut qu'il y ait un héritage commun". Dit autrement : "Nous sommes la France, certes, mais il ne peut y avoir de France que s'il y a un nous". Quant au roman national, pour terminer en parlant d'histoire : "Aucun déterminisme, aucun dessein caché. La France éternelle n'existe pas. Mais la France actuelle porte la mémoire de sa lente composition, de la lutte patiente du pouvoir royal contre les foédalités, de l'écrasement brutal du sud par le nord, de la poursuite par la révolution et l'empire de l'oeuvre de centralisation engagée sous Colbert ... L'école n'a pas pour objet d'inventer un roman national pour galvaniser un peuple et lui faire croire à quelque prédestination, mais elle a pour objet de forger un récit national qui apporte à chaque futur citoyen son legs ... Si l'école, à un moment, ne se fixe pas pour mission de donner des repères communs, ne vision commune de l'histoire du pays, personne ne le fera".
Allez, une dernière : "La république compte désormais parmi les concepts mous, dont chacun se réclame sans avoir la moindre notion de ce qu'implique un tel régime en termes de souveraineté ou de rapport entre l'individuel et le collectif". Je suis certain que des tas de dents doivent grincer, et l'on s'explique beaucoup mieux pourquoi l'auteure n'est plus présente aux heures de grande écoute... Il ne s'agit ni d'une analyse scientifique, ni d'une thèse de sciences humaines, mais d'un cri du coeur, dont les formules trop rapides et raccourcies peuvent souvent être contestées. Mais au total, quel air frais dans les miasmes des discours radio-télévisés toujours identiques ! Un livre qui ne laisse à aucun moment indifférent : déjà une belle réussite.
Plon, Paris, 2015, 215 pages. 14,90 euros.
ISBN : 978-2-259-23040-7.