Carnets et lettres de guerre
Campagne d’Italie, de Provence et des Vosges (janvier-novembre 1944)
Jean Vaugien - Jean Albouy
Edités par Gauthier Langlois, leur petit-fils et petit-neveu, voici les souvenirs de campagne de deux beaux-frères issus du milieu des officiers des Affaires indigènes au Maroc et placés au commandement d’une unité des Goums marocains. Pour le premier, Jean Vaugien, il s’agit de la retranscription de ses carnets de guerre, pour le second, Jean Albouy, des lettres qu’il adressait à sa famille. Deux types de documents complémentaires donc, rédigés à la même période, parallèlement, par deux jeunes hommes proches l’un de l’autre, familialement, culturellement et « militairement ». C’est dire l’intérêt de ce témoignage croisé. L’ouvrage est organisé en trois grandes parties. Les deux premières, « Campagne d’Italie » et « Campagnes de Provence et des Vosges », sont constituées par les carnets de Jean Vaugien ; la dernière est complétée par les lettres de Jean Albouy, entre le 26 mai 1940 et le 1er novembre 1944.
Les carnets de Jean Vaugien nous renseignent sur le quotidien d’une unité des Goums marocains, les rapports entre les officiers et la troupe, leur état d’esprit et leur emploi. Ils sont également précieux pour ce qui est du regard qu’un officier français, dont l’armée renoue avec la victoire, porte sur l’Italie et les Italiens mais aussi sur les alliés. Il ne cache pas son admiration pour l’armée britannique, mais exprime à plusieurs reprises ses réserves sur les Américains. Dès le débarquement près de Naples, la pauvreté et la misère sautent aux yeux et, si les paysages, sites et monuments restent exceptionnels, les conséquences de la guerre dans les villages de l’intérieur sont particulièrement visibles. Au fil de ses notes presque quotidiennes, il raconte par exemple la destruction de l’abbaye de Monte Cassino, « transformée en véritable place-forte » par les Allemands, sous l’action de « plus de trois cent bombardiers en piqué [qui] l’ont réduite à un amas de ruines ». Après une brève période de repos vient le temps, en dépit de la vive résistance allemande, de la progression vers Rome. Le 19 mai : « Réveil à 3 heures et demi. Nous sommes prêts à partir. Les mulets sont trop chargés. Quinze sur vingt-huit sont blessés. Les hommes sont très fatigués. En outre le ravitaillement n’est pas arrivé. On marchera quand même ». Par les hauteurs, de piton en crête, d’accrochage en contre-attaque, les goumiers parviennent dans la capitale italienne : « Naples est la ville sale et dépravée. Rome est la ville propre, chic, digne. Quel plaisir de voir quelque chose de correct pour une fois en Italie … Les Français dans la rue se tiennent très bien, les Anglais encore mieux. Les Américains aussi mal que partout ailleurs. Les Français sont à l’honneur, la police est française, les drapeaux français sont nombreux ». Les combats ne sont pas finis pour autant et les assauts se succèdent jusqu’en juillet. C’est alors l’embarquement pour la Corse (« J’espérais mieux. En dehors d’Ajaccio, c’est tout à fait le bled marocain » écrit-il aux premiers jours, avant d’ajouter par la suite : « Après un premier contact un peu décevant, je découvre les uns après les autres tous les aspects particuliers qui font le caractère et le charme d’un pays », puis du petit village où il est stationné « Ce petit village est très Clochemerle. Tous les gens s’y mangent le nez. Les filles sont sauvages et en général pas très jolies, mais gentilles. Il y a beaucoup de vieux et de vieilles habillées de noir qui marchent pieds nus et qui parlent à peine le français. Nous avons la grosse cote parce que nous réunissons les deux qualités d’être du continent et d’être des combattants d’Italie ». Les observations sont parfois retranscrites de manière un peu "brutes" mais c'est la contrepartie de ce type de document, et elles se succèdent ainsi au fil de la poursuite de la campagne, avec le débarquement de Provence puis la libération de Marseille en août, la remontée à travers les Alpes et vers la Franche-Comté en septembre et jusqu’aux derniers combats à la tête de son unité dans les Vosges au début du mois d’octobre dans le secteur du col de Xiard (ces dernières parties plus rapidement survolées). Le récit cède alors progressivement la place aux lettres de Jean Albouy à ses parents qui, en quelque sorte, poursuivent la description (avec moins d’intérêt toutefois nous semble-t-il) pendant quelques semaines.
A la fin du livre, Gauthier Langlois ajoute, outre une sélection de photos originales, quelques très intéressantes annexes (organigrammes), dont un bel état des sources et de la bibliographie (incluant de nombreux témoignages antérieurement publiés sur les Goums). Un beau et bon témoignage, qui mérite d’être connu, sur les combats des Goums marocains en 1944.
Editions Lavauzelle, Panazol, 2015, 232 pages. 22,30 euros.
ISBN : 978-2-7025-1629-4.