Corps à corps
Essai de transmission mémorielle par le cimetière militaire
Emile S. Fouda et Eve Comandé
Pour entretenir la mémoire et le souvenir, peut-on faire dire aujourd'hui aux cimetières militaires autre chose que ce pour quoi ils ont été aménagés ?
Le livre s'ouvre sur un étonnant avant-propos, vestige de souvenirs familiaux ?, mélange entre la brutale répression des Héréros dans le Sud-ouest africain allemand et le génocide des Juifs par les Nazis, puis évoque les combats de la libération et les cimetières de Normandie, autour de la personnalité d'un grand père qui aimait l'Allemagne... Puis l'introduction commence par une évocation de la rafle du 16 juillet 1942 à Paris pour s'interroger ensuite sur la mémoire et poser la question du cimetière militaire et de ce qu'il peut et doit transmettre aujourd'hui. L'itinéraire suivi n'a rien de la ligne droite... Le volume est ensuite divisé en cinq parties principales. La première tente de définir "Les cadres fondamentaux de la sociabilité du cimetière militaire", dans ce qu'il doit représenter et dans la façon dont il est organisé. La seconde partie reprend depuis la Grèce antique le traitement réservé aux morts (et en particulier aux guerriers morts) jusqu'à la Seconde guerre mondiale, en insistant sur le moment particulièrement important de la Première. La troisième partie nous en apprend beaucoup sur le fonctionnement et les modes de gestion des cimetières militaires dans les principales nations occidentales (France, USA, Royaume-Uni, Allemagne), à travers leurs grandes organisations étatiques ou para-étatiques (American Battle Monuments Commission, Commonwealth War Graves Commission, etc.). La quatrième s'intéresse, à partir d'exemples normands de la Seconde guerre mondiale essentiellement, à l'agencement interne propre à chaque cimetière, en recherche les points communs ou les différences (ordonnancement, végétation, pierres tombales, constructions, etc.). A titre anecdotique, on y apprend par exemple l'existence près de Caumont-L'Eventé du "plus petit cimetière du monde", puisqu'il ne compte qu'une seule tombe : "ce minuscule site est un espace clos, disposé et entretenu de la même manière que tout autre cimetière militaire". La cinquième et dernière partie enfin s'attache aux circuits mémoriels, à travers les personnes (les conservateurs des sites et les différentes catégories de visiteurs), la réglementation (ce qui y est autorisé et ce qui y est interdit), et jusqu'aux profanations. Le livre se termine sur une analyse de la "Place du corps dans les récits des témoins civils", intéressante mais à bien des égards trop inutilement intellectualisée pour être opérative. Considérant en conclusion que les soldats morts, assimilés aux héros antiques, ont toujours un message à transmettre, les auteurs en viennent toutefois à considérer que celui-ci a évolué et doit continuer à évoluer : "Aujourd'hui la valeur de liberté prend racine ailleurs et les jeunes adultes n'ont plus aucun lien avec la guerre, sauf si la famille raconte, sauf si la conscientisation se fait par les proches. La jeunesse, protégée par l'absence d'une expérience de guerre semblable à celle des grands-parents, veut rompre avec ce passé là. Les nouvelles valeurs sociales mettent en avant l'individu et ses droits aux dépens de son rapport à la collectivité et de son devoir de mémoire ... Une réponse s'impose : revaloriser les espaces de paix. Pour cela il importe de montrer les conséquences des processus de guerre. Leçon sans livres, les cimetières militaires s'y emploient". Le plus petit commun dénominateur, et le plus facile, est-il vraiment le plus pertinent ? On peut en effet se demander si "l'avenir" des cimetières est de "se transformer en éclaireurs de paix", sans que l'on ne sache plus pourquoi ces guerres et pourquoi ces morts.
Editions Codex, Talmont Saint-Hilaire, 2015, 219 pages, 24 euros.
ISBN : 978-2-918783-09-1.