Histoire de la nation Cherokee
Lionel Larré
Les nations indiennes ne sont généralement connues qu'à partir des sources américaines, et cet ouvrage présente l'originalité de traiter son sujet, autant que possible, à partir de la documentation conservée par les Cherokee eux-mêmes, dont on ignore généralement qu'ils s'adaptèrent très tôt à la "civilisation" euro-américaine.
Dans ce beau travail, Lionel Larré nous conte donc l'histoire des Cherokee depuis l'installation des premiers Européens sur le territoire américain. Il commence par présenter, dans les premiers chapitres, le cadre général, la culture et la société cherokee, peuple montagnard du sud-est des actuels Etats-Unis. Au fur et à mesure des chapitres, l'auteur ajoute à son texte des documents en anglais (dont on regrette qu'ils ne soient pas tous traduits en français pour les lecteurs non anglophones) judicieusement choisis. A partir du chapitre 3 et des premiers contacts avec des Européens (des Portugais autour de 1540, mais très vite les Anglais et les Français), l'histoire de la nation Cherokee se développe parallèlement à l'évolution du commerce et des échanges (arrivée des armes à feu, du cheval, des ustensiles du quotidien, etc.), dont l'accroissement justifie la présence de commerçants européens et dès 1721 la signature d'un premier traité avec le gouverneur de Caroline du Sud. L'importance de la propriété du sol ("la notion de propriété terrienne qui fut le catalyseur de tant de conflits") est soulignée dès avant la fin du XVIIIe siècle. Tandis que les tribus s'allient (ou non) avec telle ou telle puissance européenne, la lutte entre Français et Anglais en Europe a des échos dans le Nouveau monde et, sous l'influence d'un aventurier fin politique, les Cherokee acceptent de se placer "sous la protection du roi d'Angleterre" et quelques uns de leurs représentants séjournent à Londres à l'été 1730. Durant la guerre de Sept Ans, la position des Français reste longtemps favorable et les Indiens se divisent avant d'être contraints de se soumettre après avoir subi de lourdes pertes. Le processus qui va durer pendant plus d'un siècle commence dès le milieu des années 1760 : "Des colons européens de plus en plus nombreux s'étaient installés sur le territoire cherokee ... Ces mouvements de populations initièrent une longue série de traités avec les colonies ; chacun d'eux fut une tentative de fixer les frontières une fois pour toutes, mais en obligeant à chaque fois les Cherokees à concéder une partie de leur territoire". Le processus se poursuit après la naissance des Etats-Unis (le premier traité est daté de 1785), plaçant de fait, puis explicitement, les Indiens sous protectorat "civilisateur" américain. Le bilan est extrêmement lourd : "Les Cherokees sortaient du XVIIIe siècle presque décimés : selon McLoughlin, la nation cherokee avait perdu les trois quart du territoire qu'elle revendiquait au début du siècle, et ne comptait plus qu'environ 10.000 membres". Missionnaires et instituteurs oeuvrent de plus en plus massivement parmi la population cherokee, dont une grande partie reste attachée aux Etats-Unis lors de la guerre de 1813-1814 contre l'Angleterre, mais a aussi pour effet de consolider un "gouvernement" de la nation cherokee, qui se dote en 1827 d'une première constitution, "imprimée en anglais et en cherokee" ! (mise au point d'une forme écrite de la langue en 1821). Dans le même temps toutefois, un certain nombre de Cherokee passent à l'ouest du Mississippi, vers l'Arkansas (où ils implantent une seconde république cherokee) et le Texas, progressivement rejoints par ceux que la progression de la colonisation européenne chassent de leurs terres. Après un étonnant conflit avec la Georgie, durant lequel la presse et le lobbying tiennent une vraie place, les déplacements plus ou moins forcés vers l'ouest se multiplient et les nouveaux regroupements de population engendrent de profonds changements dans l'organisation des territoires cherokee, qui connaissent cependant une paix relative jusqu'à la guerre civile américaine. Partagée entre neutralistes et partisans de la Confédération (deux régiments cherokee), le territoire est ravagé par une guerre civile dans la guerre civile, mais Stand Watie est le dernier général sudiste à se rendre, deux mois après Lee. Les destructions causées par la guerre sont progressivement reconstruites et le territoire se relève, mais l'immigration de nombreux Euro-Américains modifie définitivement l'équilibre démographique : "En 1890, le Territoire indien fut inclus pour la première fois dans le recensement décennal des Etats-Unis. Il dénombra dans la nation cherokee 22.015 Indiens et 29.166 Blancs". C'est en 1900, finalement, que les Cherokee "signèrent un accord avec les Etats-Unis pour accepter la citoyenneté états-unienne", accord qui prévoit également la disparition d'un gouvernement autonome, et le Territoire indien est réuni à l'Oklahoma à la fin de l'année 1907. C'est autour de 1914 que ces ultimes mesures aboutissent et la nation cherokee semble disparaître définitivement... Mais un renouveau par étape se dessine, dans les années 1930, puis dans les années 1960-1970 : une nouvelle constitution cherokee est adoptée en 1976, et aujourd'hui "la Nation Cherokee vit toujours, disposant de l'autonomie judiciare sur son territoire, ... avec une économie et une culture en plein essor".
Le récit d'une opposition sur plus de deux siècles, mais aussi la description d'une formidable capacité d'adaptation progressive : un livre d'histoire de plein titre qui se lit comme un roman. Bravo !
Presses universitaires de Bordeaux, 2014, 285 pages, 14 euros.
ISBN : 978-2-86781-929-2.