Une femme dans la Grande Guerre
Madeleine Blocher-Saillens
Préface et notes de Franck Belloir
Les éditions Ampelos publient avec ce volume un journal de guerre tout à fait intéressant. Rédigé par celle qui est à cette date une très jeune femme mais devienda un pasteur engagé, il est tenu de juillet 1914 à juillet 1919 et complété par des correspondances personnelles (dont on sent bien d'ailleurs quelles ne sont pas sur le même ton et n'abordent pas les mêmes sujets).
Ces considérations personnelles, souvent longues, sont écrites à intervalles irréguliers, parfois tous les quinze jours, voire tous les mois. Elle rapporte, sans doute très scrupuleusement, ce qu'elle entend et ce qu'elle lit, y compris dans les journaux anglais qui ne sont pas soumis (au début au moins) à la même forme de censure, et commente les événements, en les agrémentant souvent d'anecdotes. Les premières semaines sont très nettement marquées par l'ignorance dans laquelle se trouve l'arrière du déroulement des opérations : les rumeurs se multiplient, les blessés et réfugiés arrivent par trains entiers, et dans les informations contradictoires cette phrase : "Où est la vérité ? On nous cache beaucoup de choses. C'est le plus énervant". Au fil des pages, des nouvelles (?) d'Alsace, du front russe, d'Angleterre, etc., autant d'éléments qui témoignent d'un esprit vif et curieux, attitude facilitée par le large réseau familial de la rédactrice et ses déplacements assez réguliers au Royaume-Uni. Ses séjours permettent d'ailleurs au lecteur francophone d'avoir une approche rare de la vie sur le sol britannique pendant le conflit. Les rumeurs d'ailleurs ne cessent pas (annonce d'une "bataille merveilleuse pour la prise de Constantinople" au printemps 1915) et les lettres de la famille sont parfois éclairantes : "Les soldats commencent à trouver très long cette vie de tranchées, ils attendent avec impatience la grande offensive" (mars 1915). Très patriote, elle ne doute jamais du succès final des armées alliées, et très croyante elle fait régulièrement intervenir (comme beaucoup de gens à l'époque) la volonté divine : "Au moment le plus terribl de cette bataille (Verdun), Dieu a envoyé une tempête de neige qui a dû sérieusement empêcher l'avance de l'offensive" (mars 1916). Les textes s'espacent ensuite, même s'ils se poursuivent ponctuellement jusqu'à la fin de la guerre. Quelques considérations sur la révolution russe et la défaite italienne de Caporetto en 1917, les échos des offensives allemandes du printemps en 1918 et finalement la victoire à l'automne : "Les cloches sonnent à toute volée, le canon tonne coup après coup, et c'est la fin de la plus formidable alerte que le monde ait connue. La guerre est finie ! L'armistice est signé ! Des larmes de joie coulent de mes yeux. Nous osons à peine croire que nous sortons de cet horrible cauchemar. Et nous en sortons vainqueurs. Le Kaiser est en fuite en Hollande avec son sinistre fils, tout deux ont dû abdiquer devant la révolution grandissante. La Bavière a déclaré déchue leur vieille dynastie des Witclobach (sic !) et ont acclamé la république. Les grandes villes hanséatiques sont au pouvoir des soviets, le jeune Henri de Prusse a dû fuir Brème. Francfort a un Comité de salut public. Le nouveau chancelier allemand est un social-démocrate, un certain Eber. Les événements vont si vite, la tempête souffle avec tant de rage que nous ne savons ce que nous réserve l'heure prochaine" (11 novembre). Une nouvelle ère s'ouvre, que les dernières lignes datées du 13 juillet 1919 décrivent : "Nous avons eu la signature définitive de la paix le 28 juin. Grande cérémonie à Versailles. Canonnades à Paris. Foule immense dans les rues, mais foule assez tranquille. Les deuils sont trop grands et la paix ne nous donne que de si petits avantages que nous ne pouvons nous réjouir beaucoup"...
Un témoignage intéressant, en particulier parce qu'il offre souvent un regard décalé sur les faits, les hommes et les événements par rapport aux lectures les plus courantes. Un témoignage à conserver.
Editions Ampelos, 2014, 176 pages, 15 euros.
ISBN : 978-2-35618-081-0.