Gabriele D'Annunzio
ou le roman de la Belle Epoque
Dominique Lormier
Après une longue série d'ouvrages consacrés aux soldats français de la Seconde guerre mondiale, Dominique Lormier se lance ici dans le roman historique autour de la personnalité extraordinaire de Gabriele D'Annunzio. Son dernier ouvrage paru, consacré à La bravoure méconnue des soldats italiens, 1914-1918, 1939-1945 (non lu à ce jour), aurait pu nous pré-alerter, d'autant qu'il a déjà travaillé sur les années que passa le poète à Arcachon avant la Grande Guerre.
Ecrivant à la première personne du singulier, Dominique Lormier fait donc parler D'Annunzio, dont ce serait ici en quelque sorte l'expression des souvenirs personnels. Il raconte ainsi ses innombrables souvenirs littéraires et amoureux, agrémentant son discours de citations disant le plus grand bien de lui... La méthode est pour le moins curieuse, sauf à vouloir mettre en relief une auto-satisfaction hors norme. Le procédé se comprend si l'on considère que les grands esprits peuvent aussi être les plus excessifs, et les plus égocentriques. Il n'hésite pas d'ailleurs à se qualifer lui-même de "l'un des plus fins esprits des Lettres de l'époque". Un seul exemple : "Méprisant l'argent et courant sans cesse après lui, couvert de dettes autant que de femmes, je suis l'inventeur d'un style de vie qui fera fureur en Europe". Nous passons ainsi de Florence à Rome et à Venise, nous avons droit à la description de ses romans et nouvelles, et à celle de son engagement en politique en 1897 : "Je me considère comme le descendant d'une lignée d'artistes et de mages, où je place Dante, Léonard de Vinci, Michel-Ange, Byron, Shelley, Saint-François d'Assise, Victor Hugo et Nietzsche. Je suis parvenu à accomplir l'union intime de l'art et de la vie" ! Rien de moins... Criblé de dettes et poursuivi par les créanciers, il s'installe en 1910 à Rome, puis à Paris, et nous présente en quelques pages un tableau (parfois acerbe) des élites du temps, tout en citant à nouveau les appréciations les plus élogieuses portées sur lui. Pour fuir une nouvelle fois ses créanciers (et une maîtresse intrusive), il trouve refuge à Arcachon, et nous avons alors droit une nouvelle fois au récit de ses escapades amoureuses, entre deux périodes de rédaction d'un nouvel ouvrage ou d'une nouvelle pièce ; nous le suivons à cheval, ou avec ses lévriers. Mise en scène garantie et spectacle quotidien. Un long chapitre (un peu soporifique) est ensuite consacré à ses visites et déplacements en Aquitaine et dans le Sud-ouest, sur fond de rencontres "magiques" et de recherches poétiques ("Espérant trouver la lumière de l'absolu par l'alchimie du verbe, je plie et presse tous les matériaux au service du mouvement essentiel, de l'emportement, de la libération, envol pur, épuisement jusqu'au brisement final") ; tandis que le suivant est organisé autour de la description d'une autre longue liste de maîtresses tour à tour séduites. Entre deux servantes, quelques bourgeoises et de vraies-fausses comtesses, nous croisons également quelques noms célèbres de la vie intellectuelle de l'époque. De retour à Paris en 1913 (pardon, "1912 + 1"), il poursuit sur le même ton et dans le même style. La Grande Guerre et les années qui suivent n'occupent finalement que les trente dernières pages et l'on reste ici sur sa fin, comme si l'essentiel de D'Annunzio avait été dans sa vie sentimentale... Il n'en oublie pas pour autant de rappeler qu'il a participé "aux opérations les plus périlleuses", dont il donne rapidement quelques exemples, et ne consacre que quelques pages rapides (et pourtant si atypique et lourde de conséquences) aventure de Fiume.
Au final, je n'en quitte pas l'ouvrage en appréciant davantage D'Annunzio, même en ayant le sentiment de mieux le connaître, et l'on peut se demander si le héros romantique en est grandi. Un livre sur la part d'ombre du héros ?
Editions du Rocher, Monaco, 2014, 230 pages. 18,50 euros.
ISBN : 978-2-268-07617-1.
La présentation de son livre par l'auteur : ici.