La vraie vie du capitaine Dreyfus
Laurent Greilsamer
Chacun connait le nom du capitaine Dreyfus, mais qui est capable de raconter sa vie et de décrire sa carrière, en amont et en aval de "l'affaire" ? Ce livre donne de la chair à ce qui n'est pour la plupart qu'un nom.
Construit de façon strictement chronologique sur la forme de paragraphes parfois fort courts, choix rédactionnel de l'auteur : "un récit brut, chronologique, qui permet de mesurer ce que furent la solitude, les épreuves et le courage d'un militaire injustement accusé de trahison". Nous commençons dont notre périple à Mulhouse dans la deuxième moitié du XIXe siècle, "qui vibre aux accents de La Marseillaise mais parle allemand", puis suivons le jeune Alfred à Polytechnique, où il fait le choix de l'artillerie. Les pages suivantes résument sa carrière jusqu'au début de "l'affaire", avec une inclinaison de l'auteur à vouloir à toute force nous prouver que Dreyfus était appelé à "une carrière brillante, au plus haut niveau", ce qui tend certes les ressorts dramatiques de la suite de la biographie mais relève en partie de l'uchronie et ne repose que sur quelques déductions (il faut décrypter les feuilles de notes annuelles au-delà du simple emploi de tel ou tel terme). Le récit suit ensuite le détail des procédures au cours des longues années pendant lesquelles Dreyfus est au coeur d'une tourmente politico-médiatico-judiciaire et militaire et l'auteur s'appuie fréquemment sur des lettres personnelles de Dreyfus. Les scènes sont décrites avec force (la dégradation, la vie quotidienne sur l'île du Diable) et l'on a vraiment le sentiment de comprendre le capitaine, de suivre pas à pas, presque au jour le jour, ses évolutions et tourments intellectuels, physiques et psychologiques, sa descente aux enfers. Le retour en France à la prison de Rennes, le procès public, les mensonges des uns et les faiblesses des autres, la seconde condamnation en septembre 1899, la grâce présidentielle qui lui permet de retrouver la liberté et de poursuivre son combat en réhabilitation, le refuge vauclusien et un repos qui permet de se reconstituer, les visites d'amis et de partisans de son innocence, puis le retour à Paris et enfin la préparation de son procès et le jugement de 1906 : le déroulement chronologique des faits est bien connu, mais Laurent Greilsamer nous les fait ici revivre à partir du regard de Dreyfus lui-même. C'est alors la cérémonie de réintégration dans l'armée comme commandant. Tout est-il fini ? Non, car il se bat encore pour faire admettre l'injustice d'une carrière brisée, doit se remettre d'un tentative d'assassinat (dont le responsable est acquitté dans une ambiance surchauffée). Plus grave au plan personnel peut-être, ses anciens soutiens et partisans semblent l'oublier et en viennent à lui reprocher de ne pas avoir transformé son cas personnell en machine politique : "Le destin lui commandait de refuser la grâce ; le destin exigeait qu'il se sacrifie sur l'autel de la cause ; le destin voulait qu'il meure pour le bien de la République". Que c'est facile à dire, ou à écrire, de la part d'un tribun ou d'un publiciste qui n'a été que spectateur du drame personnel. Enfin, survient la Grande Guerre, et Dreyfus est affecté comme officier de réserve sous les ordres de Gallieni pour la défense du camp retranché de Paris dont il commande l'artillerie de la zone nord. A sa demande (répétée), il est sur le front en 1917 et est promu lieutenant-colonel de réserve en 1918, avant de retourner discrètement à la vie civile à la fin de la guerre et de s'éteindre doucement (en dépit de la haine que certains continuent à lui porter) en 1935, son enterrement survenant presque symboliquement le 14 juillet.
Un livre qui se lit comme un roman, une vie de combat et de souffrances, décrite au niveau de l'homme lui-même.
Tallandier, Paris, 2014, 216 pages. 18,90 euros.
ISBN : 979-10-210-0134-3.