Robert E. Lee
La légende sudiste
Vincent Bernard
Excellente première biographie en français de cette ampleur ! On sent à chaque page que l'auteur maîtrise parfaitement son sujet.
Né dans une vieille famille de Virginie qui perd son domaine en 1829, le jeune Robert entre à West Point parce que "la prestigieuse académie militaire fédérale de New York ... offre le singulier avantage d'une carrière sans nécessité de fortune". Au fil des pages, avec un grand souci du détail, Vincent Bernard brosse la vie et la carrière de Robert E. Lee ("trente-cinq ans sous la bannière étoilée et quatre sous celles de la Virginie et de la Confédération sudiste"), en prenant toujours soin de remettre chaque situation dans son contexte et en tirant les enseignements, leçons ou conclusions qui lui paraissent s'imposer. Il décrit ainsi la succession de décisions qui conduit aux proclamations de sécession de décembre 1860 et janvier 1861, et l'on voit Lee quitter leTexas où il est en garnison pour rejoindre la capitale fédérale. Le président Lincoln lui propose alors de prendre le commandement d'une armée fédérale : "J'ai décliné l'offre ... en expliquant aussi courtoisement et poliment que je le pouvais que bien qu'opposé à la Sécession ... je ne pouvais prendre aucune part à une invasion des Etats dy Sud". Futur chef de l'armée sudiste par fidélité plus que par adhésion. Près des deux tiers du livre sont donc consacrés, très naturellement, à la guerre civile américaine et au rôle de Lee dans ce conflit. Ceux qui n'ont (comme moi avant de lire le livre) qu'une connaissance générale (et sans doute très marquée par les stéréotypes) de cette période, seront vraisemblablement à plusieurs reprises surpris par les déclarations ou les attitudes de Lee qui, selon Vincent Bernard, est vraiment tout sauf un dogmatique. Un homme de respect, de convictions et de valeurs. Le récit des combats de 1863, et en particulier de Gettysburg, est parfois tout simplement dramatique : Lee est à la fois l'âme de l'effort militaire de l'armée de Virginie et des Sudistes, mais aussi le responsable des pertes les plus cruelles et finalement d'un échec : "L'armée a fait ce qu'elle pouvait. Je crains de lui avoir demandé des choses impossibles". Vincent Bernard sait aussi bien montrer les pénuries qui assaillent l'armée confédérée que le système de permissions par roulement instauré par Lee, la crise des effectifs de 1865 ou le véritable jeu de cache-cache que Grant impose en 1864 à son adversaire. Les amateurs de tactique y trouveront l'emploi du chemin de fer pour le transport rapide des troupes du Nord et de la pelle pour aménager de puissants retranchements ; ceux qui préfèrent l'histoire politique y découvriront certains modes de fonctionnement du gouvernement sudiste. Mais la pression nordiste devient de plus en plus forte et le talent du "Renard gris" ne peut suffire. Pour lui, le 12 avril 1865 marque la fin de la guerre et il écrit au président Jefferson Davis : "C'est avec douleur que j'annonce à Votre Excellence la reddition de l'armée de Virginie du Nord". Prisonnier sur parole, il devient un mythe de son vivant, "homme de marbre", qui termine sa vie professionnelle comme directeur du Washington College de Lexington.
Vincent Bernard s'interroge pour conclure sur le "génie militaire" de Lee, sa réalité et ses limites : "Nul autre général n'aura si souvent et si régulièrement manoeuvré ses adversaires ... sans pour autant parvenir à atteindre la bataille décisive dont les lectures napoléoniennes de West Point l'avaient peut-être un peu trop imprégné. Lee n'aura jamais vraiment trouvé son Austerlitz ni vraiment subi son Waterloo". Sait-on, enfin, que c'est le 5 août 1975 seulement que le président Ford, après un vote du Congrès, prononcera la réhabilitation pleine et entière de Lee ?
Une biographie équilibrée que chaque amateur d'histoire militaire se doit de connaître.
Perrin, Paris, 2014, 449 pages, 24 euros.
ISBN : 978-2-262-04098-7.