Dans la tanière du loup
Les confessions de la secrétaire d’Hitler
Traudl Junge
Jeune bavaroise qui, dans son enfance, voit peu son père membre du corps franc Oberland puis « exilé » en Turquie pendant de nombreuses années après le putsch manqué de 1923, Traudl Junge reçoit une éducation très traditionnelle : « Vous devez devenir des gens convenables, ne pas mentir, être serviables, honnêtes et modestes, vous montrer accommodantes et avoir du tact, et ne pas vous mêler des affaires des autres ».
Une longue introduction nous présente les premières années de la jeune femme. Tout au plus sera-t-elle impressionnée, comme beaucoup d’adolescents, par l’ampleur et la mise en scène des grandes manifestations nationales-socialistes de la deuxième moitié des années 1930. Devenue secrétaire, elle se passionne pour la danse, à laquelle elle consacre l’essentiel de son temps libre à la veille de la Seconde guerre mondiale. Bref, une jeune fille ordinaire qui entre dans la vie active. Les souvenirs de Traudl Junge, rédigés en 1947, sont ensuite divisés en sept chapitres, dont seuls les trois premiers ont été titrés par ses soins : « Première rencontre », « Dans la tanière du loup », « Premières impressions du Berghof ». Les chapitres qui suivent présentent chronologiquement les dernières années de guerre, alors que Tradl Junge appartient à un ‘pool’ de secrétaires et travaille pour différents proches et collaborateurs du Führer, d’abord au GQG sur le front Est, puis à partir de janvier 1945 à Berlin. Après la mort d’Hitler, dont elle livre le récit que lui fait peu après Otto Günsche, c’est la tentative de sortie du bunker… Le livre se termine sur un commentaire de Melissa Müller, à l’origine de la publication initiale du livre, sur le thème « Chronologie d’un travail sur la culpabilité » qui retrace l’histoire de la secrétaire d’Hitler après la fin de la Seconde guerre mondiale, ses explications, ses doutes : « Traudl Junge a servi un régime criminel, mais n’a jamais participé aux actions meurtrières des nazis … Tout en ayant été si proche de l’événement, elle ne cadre pas avec le schéma de pensée de ces hommes », et pourtant, « elle ne s’est jamais sentie innocente après la guerre. Mais autant la honte et le regret des atrocités nazies la tourmentaient, autant il lui fut difficile de situer sa corresponsabilité au-delà d’une auto-accusation diffuse et abstraite ». Dans le corps du volume, on découvre sous bien des aspects la vie privée du dictateur, la place d’Eva Braun, le côté de plus en plus taciturne d’Hitler, les conversations à voie basse autour de lui, le rôle de Bormann et les interminables soirées de plus en plus lugubres. Même les fidèles ne parviennent plus à discuter avec Hitler : « De temps en temps, je voyais les conseillers, généraux et collaborateurs sortir avec une mine consternée d’un entretien avec le Führer, ils mâchonnaient de gros cigares et ruminaient sans fin … Il leur est arrivé à maintes reprises de se présenter devant le Führer, armés d’une résolution de fer et de documents et arguments irréfutables, pour le convaincre qu’un ordre était impossible, une disposition irréalisable, et il commençait alors à parler avant même qu’ils aient terminé, et toutes leurs objections s’effaçaient, rendues absurdes par sa théorie. Ils savaient que ce ne pouvait pas être juste, mais ils ne trouvaient pas la fourberie. Ils le quittaient, désespérés, renversés, doutant de leur point de vue précédemment si ferme et si péremptoire, comme hypnotisés. Je crois que beaucoup ont essayé de se défendre de cette influence, mais la plupart sont devenus las et dociles et ont ensuite simplement laissé aller les choses jusqu’à l’extrême fin ». De multiples grands personnages de l’Axe passent devant elle, elle croise un certain nombre d’autorités militaires ou civiles lors de thés ou de moments de détente, et elle retranscrit ses impressions de manière très simple.
Le témoignage presque « détaché » d’une jeune secrétaire d’à peine plus de vingt ans auprès d’Hitler : l’image d’une vie presque simple dans un univers de folie, parfois déconcertant.
Coll. ‘Texto’, Tallandier, 2014, 307 pages. 10,50 euros.
ISBN : 979-10-210-0514-3.