Une entrée en guerre
Le 47e régiment d'infanterie de Saint-Malo au combat
(août 1914-juillet 1915)
Erwann Le Gall
Une nouvelle étude "régionale" de la Grande Guerre, à travers ce livre centré sur les Malouins et Bretons du 47e R.I.
Cette monographie rigoureuse d'un régiment particulier apporte une réelle plus-value à notre connaissance des débuts de la Grande Guerre, car l'auteur sait utiliser parallèlement toutes les sources possibles, institutionnelles ou privées, mais aussi de nombreuses autres études ponctuells ou générales qui aident, au détour d'un paragraphe ou d'un chapitre, à mieux cerner la situation des soldats du 47e. Le livre est organisé en trois grandes parties, qui se succèdent logiquement : "Qu'est-ce que le 47e R.I. ?", "Le 47e RI dans la guerre (août 1914-juillet 1915)", et "Nouvelles perspectives sur une entrée en guerre". La première donne au lecteur une solide connaissance de ce qu'est un régiment français à la veille de la guerre, dans son organisation, son recrutement, l'instruction de son personnel. La critique des grandes manoeuvres qui est faite à la fin de cette partie est globalement pertinente (elles sont d'ailleurs très nombreuses à l'époque), et il faut effectivement distinguer entre les exercices d'entrainement pour la troupe et les grandes manoeuvres elles-mêmes qui devraient (théoriquement) permettre de valider le niveau des états-majors. La seconde partie, qui raconte par le menu les déplacements et les combats du 47e RI pendant la première année de guerre, offre l'intérêt, en s'attachant au niveau des bataillons, du régiment ou de la brigade, de mettre en phase les récits individuels et les analyses collectives. Le texte est très fréquemment ponctué de citations extraites de différents carnets et journaux privés, judicieusement choisies, qui fournissent des compléments utiles sur les opérations militaires, mais aussi quelques anecdotes, comme ce constat pendant la retraite après la bataille de Charleroi : "Au passage dans Vervins , la monotonie de l'étape est coupée par la vue des affiches électorales récentes. Celles-ci promettaient la paix perpétuelle et la réduction prochaine du service militaire. Elles eurent un vrai succès auprès du troupier et lui rendirent le sourire". De la Belgique à la Marne et à l'Artois, ceux qui s'intéressent au déroulement des opérations dans le détail trouveront ici chiffres précis et cartes détaillées. La troisième partie enfin tente de dresser un bilan des chapitres qui précèdent, et c'est naturellement celle qui suscite le plus d'interrogations ou de réactions ponctuelles. La question des pertes est bien sûr étudiée (très correctement), ainsi que celle de "l'épreuve physique" que représentent en particulier les premiers mois de guerre de mouvement. On peut ici discuter du caractère "excessif" de ces marches, même si elles sont particulièrement éprouvantes du fait de la météo, de la topographie et du contexte : aujourd'hui encore, 20 à 25 km. avec sac et équipements par des chemins de randonnée parfois peu praticables est la norme à l'entrainement pour développer une endurance normale (bonjour de Montlouis !). Le chapitre sur "La découverte du feu" est équilibré et, s'appuyant toujours sur de nombreux témoignages, propose des réponses (ou des pistes de réflexion) qui évite les traditionnels a priori et envisage comment l'apprentissage de la guerre pendant la guerre elle-même a pu se dérouler aux échelons de base. Par contre, le début du dernier chapitre sur la "contrainte" n'a pas totalement convaincu : le fait que la discipline soit "la force des armées" est une évidence et il y a loin entre cette nécessité et l'officier rassemblant ses hommes "revolver au poing"... De même, les quelques lignes sur l'abus d'alcool doivent aussi prendre en compte la réalité d'un temps où les consommations individuelles dans de nombreuses provinces étaient bien supérieures à ce qu'elles sont aujourd'hui... Les nombreux mobilisés éméchés des premiers jours d'août ne l'auraient-ils pas été dans toute autre circonstance sortant de l'ordinaire ? On apprécie enfin les dernières pages de synthèse sur l'esquisse de définition de ce que l'entrée en guerre a pu représenter pour les hommes.
Extrêmement bien référencé, s'appuyant sur un important corpus d'archives et une bibliographie étendue, ce livre va bien au-delà du seul 47e RI auquel il est consacré. Il apportera beaucoup à tous ceux qui s'intéressent aussi bien aux monographies et à l'histoire locale qu'aux historiens plus "généralistes" ou qui privilégient des thématiques plus large. Une lecture qui profitera indiscutablement à tous les amateurs de la Grande Guerre.
Editions Codex, 2014, 276 pages, 29 euros.
ISBN : 978-2-918783-06-0.