Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 janvier 2014 2 07 /01 /janvier /2014 06:30

La Grande Guerre

Fin d’un monde, début d’un siècle

François Cochet

Pouvoir rédiger, avec un sens aigu de la synthèse, une vaste histoire de la Première Guerre mondiale qui embrasse aussi bien les questions militaires que les problématiques de l’arrière, les sujets politiques que les aspects techniques, les contraintes diplomatiques que les évolutions sociales et culturelles, n’est pas donné à tous. Il faut, pour réussir ce difficile exercice, une connaissance approfondie de toute la période, afin d’intégrer au bon moment dans le tableau d’ensemble les paramètres les plus divers, mais il est tout aussi indispensable de n’avoir aucune « œillère » intellectuelle, afin de pouvoir restituer avec la plus grande finesse possible des réalités parfois fort différentes selon les lieux et les temps. Il fallait donc que François Cochet, dont les publications de référence sur la Grande Guerre se succèdent depuis une vingtaine d’années (depuis Rémois en guerre, 1914-1918. L’héroïsation au quotidien, Presses universitaires de Nancy, 1993) et qui anime à Metz les travaux universitaires les plus dynamiques sur l’histoire des conflits (Comme le cycle « Expérience combattante » depuis 2010 par exemple), mette tout son savoir et sa passion dans le projet. Le résultat est à la hauteur des attentes.

Dans un style dense et sobre qui n’abuse pas d’un vocabulaire inutilement intellectualisé, il dresse une large fresque de l’ensemble de la période, de la question des origines de la guerre à celle des conséquences des traités de paix. Son travail offre également l’intérêt de ne pas se limiter à l’étude du front occidental et de prendre en compte (au fur et à mesure des évènements) les théâtres d’opérations extérieurs, européens, africains et asiatiques sans oublier la guerre navale. De même, au fil d’un discours logiquement chronologique, il aborde les questions les plus diverses en revenant aux sources et en replaçant les événements dans leur contexte. Le deuxième partie, « L’été le plus meurtrier », comprend ainsi un chapitre consacré à « La course à la mer, une fiction mémorielle », mais aussi un sur les exactions allemandes dans les territoires occupés ou un autre sur la mise en place du discours de propagande. En neuf grandes parties (« Pourquoi la guerre ? », « L’été le plus meurtrier », « 1915 : la guerre s’invente dans les tranchées », « 1915-1916 : les sociétés dans la guerre », « 1916-1917 : le temps des hyperbatailles », « Hommes à la peine dans la tourmente des hyperbatailles », « Désarrois, révolutions et paix (1917-1918) : les fronts intérieurs », « 1918 : comme en 14 ? » et « 1919 et après »), il aborde, à raison de trois à dix chapitres par parties, les sujets les plus divers. Parmi ceux-ci, sans jamais oublier les grandes batailles du front de France, on relève par exemple les front orientaux et turcs, le financement de la guerre, les adaptations doctrinales, les protestations contre la guerre, le traitement des blessés, la situation des prisonniers, les échecs des tentatives officielles ou officieuses de paix, la question du moral et celle des opinions publiques, les combats de l’armée italienne et ceux des Américains, la problématique des démobilisations dans des sociétés traumatisées, le phénomène des anciens combattants, etc.

Au fur et à mesure que se développe le récit, l’auteur n’hésite pas à remettre en cause nombre d’idées reçues. Sur les réactions des soldats face au mur de feu auquel ils sont confrontés dès les premiers combats, il rappelle cette réalité des unités en campagne : « L’homme n’est jamais seul … En permanence sous le regard des camarades de combat ou des chefs de contact, le soldat ne réagit pas comme un individu, mais comme l’élément constitutif d’un tout. Se poser la question fondamentale des raisons qui ont fait tenir les soldats durant les quatre années de la Grande Guerre en ignorant cette dimension expose à de graves incompréhensions ». Comparant le front occidental et le front oriental, il souligne que « la densité des troupes qui sont en confrontation est assez radicalement différente à l’est par rapport à l’ouest. Lors de l’année 1915, alors que 110 divisions alliées font face à 100 divisions allemandes sur le front de l’ouest (soit approximativement 6,3 kilomètres linéaires par division alliée), sur le front oriental les empires centraux opposent 80 divisions aux 83 divisions russes (soit près de 20 kilomètres linéaires par division … Au plan tactique, la moindre occupation des sols débouche sur des comportements fort différents également ». A propos du rôle des journaux, il observe que « la presse généraliste évite de choquer son lectorat en fonction de ses attentes supposées relues par les journalistes. Le conformisme s’impose donc aux dépens de l’information. Car la presse fonctionne d’abord et avant tout sur le principe de l’entreprise capitaliste qui doit faire des bénéfices. Durant la Grande Guerre, elle accepte donc, par peur de disparaitre au vu de la raréfaction des lecteurs mobilisés et de la production de pâte à papier, de se conformer au discours ambiant ». Il souligne toute la complexité et parfois les ambigüités de la bataille de Verdun, où « la plupart des combats, à l’exception des ‘grands coups’ du 21 février ou de la reconquête de Douaumont, n’ont concerné que des unités élémentaires », car paradoxalement dans cette titanesque bataille de dix mois « la compagnie constitue ici l’unité de référence, comme souvent. Les échelons supérieurs -régiment, brigade et a fortiori division- ignorent le plus souvent la réalité locale du combat ». Plus loin, s’intéressant au développement du travail des femmes, il rappelle que celui-ci était déjà une réalité, en particulier en Allemagne, avant le conflit. De même, il « décortique » les ressorts de l’instrumentalisation politique (y compris américano-américaine) des combats de Bois Belleau ou du saillant de Saint-Mihiel : « En d’autres termes, l’AEF a besoin d’actions d’éclats pour se construire des mythes guerriers ». Les citations pourraient ainsi être multipliées, sur tous les sujets et dans tous les domaines.

Accumulant les exemples précis, les données chiffrées, les références les plus diverses (on apprécie les nombreuses citations et la longue bibliographie finale), cette Grande Guerre de François Cochet, qui ne s’arrête jamais à la seule répétition de considérations communes, doit indiscutablement marquer par son ampleur et sa qualité les publications du centenaire. Tel spécialiste de tel sujet pourra bien sûr regretter que son thème de prédilection ne soit pas davantage fouillé, c’est légitime. Mais tel n’était pas le but de cet ouvrage. En ouvrant aussi largement le champ de ses questionnements, en intégrant chaque problématique dans son environnement, et en dénouant l’écheveau des interactions entre les différentes disciplines et les différents niveaux d’analyse l’auteur nous propose une indiscutable -et rare- synthèse de référence, qui doit impérativement figurer dans toute bonne bibliothèque, généraliste ou spécialisée.

Perrin, Paris, 2013, 517 pages, 25 euros.

ISBN : 978-2-262-033313-2.

Vraie synthèse de référence
Partager cet article
Repost0

commentaires

Qui Suis-Je ?

  • : Guerres-et-conflits
  • : Guerres et conflits XIXe-XXIe s. se fixe pour objectif d’être à la fois (sans prétendre à une exhaustivité matériellement impossible) un carrefour, un miroir, un espace de discussions. Sans être jamais esclave de la « dictature des commémorations », nous nous efforcerons de traiter le plus largement possible de toutes les campagnes, de tous les théâtres, souvent dans une perspective comparatiste. C’est donc à une approche globale de l’histoire militaire que nous vous invitons.
  • Contact

  • guerres-et-conflits
  • L'actualité de la presse, de l'édition et de la recherche en histoire

Partenariat

CHOUETTE

Communauté TB (1)

Recherche

Pour nous joindre

guerres-et-conflits@orange.fr

Cafés historiques de La Chouette

Prochaine séance : pour la rentrée de septembre. Le programme complet sera très prochainement mis en ligne.

Publications personnelles

Livres

 

doumenc-copie-1.jpgLa Direction des Services automobiles des armées et la motorisation des armées françaises (1914-1918), vues à travers l’action du commandant Doumenc

Lavauzelle, Panazol, 2004.

A partir de ma thèse de doctorat, la première étude d’ensemble sur la motorisation des armées pendant la Première Guerre mondiale, sous l’angle du service automobile du GQG, dans les domaines de l’organisation, de la gestion et de l’emploi, des ‘Taxis de la Marne’ aux offensives de l’automne 1918, en passant par la ‘Voie sacrée’ et la Somme.

 

La mobilisation industrielle, ‘premier front’ de la Grande Guerre ? mobil indus

14/18 Editions, Saint-Cloud, 2005 (préface du professeur Jean-Jacques Becker).

En 302 pages (+ 42 pages d’annexes et de bibliographie), toute l’évolution industrielle de l’intérieur pendant la Première Guerre mondiale. Afin de produire toujours davantage pour les armées en campagne, l’organisation complète de la nation, dans tous les secteurs économiques et industriels. Accompagné de nombreux tableaux de synthèse.

 

colonies-allemandes.jpgLa conquête des colonies allemandes. Naissance et mort d’un rêve impérial

14/18 Editions, Saint-Cloud, 2006 (préface du professeur Jacques Frémeaux).

Au début de la Grande Guerre, l’empire colonial allemand est de création récente. Sans continuité territoriale, les différents territoires ultramarins du Reich sont difficilement défendables. De sa constitution à la fin du XIXe siècle à sa dévolution après le traité de Versailles, toutes les étapes de sa conquête entre 1914 et 1918 (388 pages, + 11 pages d’annexes, 15 pages de bibliographie, index et cartes).

 

 caire damasDu Caire à Damas. Français et Anglais au Proche-Orient (1914-1919)

 14/18 Editions, Saint-Cloud, 2008 (préface du professeur Jean-Charles Jauffret).

Du premier au dernier jour de la Grande Guerre, bien que la priorité soit accordée au front de France, Paris entretient en Orient plusieurs missions qui participent, avec les nombreux contingents britanniques, aux opérations du Sinaï, d’Arabie, de Palestine et de Syrie. Mais, dans ce cadre géographique, les oppositions diplomatiques entre ‘alliés’ sont au moins aussi importantes que les campagnes militaires elles-mêmes.

 

hte silesieHaute-Silésie (1920-1922). Laboratoire des ‘leçons oubliées’ de l’armée française et perceptions nationales

‘Etudes académiques », Riveneuve Editions, Paris, 2009.

Première étude d’ensemble en français sur la question, à partir du volume de mon habilitation à diriger des recherches. Le récit détaillé de la première opération civilo-militaire moderne d’interposition entre des factions en lutte (Allemands et Polonais) conduite par une coalition internationale (France, Grande-Bretagne, Italie), à partir des archives françaises et étrangères et de la presse de l’époque (381 pages + 53 pages d’annexes, index et bibliographie).

 

cdt armee allde Le commandement suprême de l’armée allemande 1914-1916, édition annotée et commentée des souvenirs de guerre du général von Falkenhayn 

14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2010.

Le texte original de l’édition française de 1921 des mémoires de l’ancien chef d’état-major général allemand, accompagné d’un dispositif complet de notes infrapaginales permettant de situer les lieux, de rappeler la carrière des personnages cités et surtout de comparer ses affirmations avec les documents d’archives et les témoignages des autres acteurs (339 pages + 34 pages d’annexes, cartes et index).

 

chrono commChronologie commentée de la Première Guerre mondiale

Perrin, Paris, 2011.

La Grande Guerre au jour le jour entre juin 1914 et juin 1919, dans tous les domaines (militaire, mais aussi politique, diplomatique, économique, financier, social, culturel) et sur tous les fronts. Environ 15.000 événements sur 607 pages (+ 36 pages de bibliographie et d’index).

 

 Les secrets de la Grande Guerrecouverture secrets

Librairie Vuibert, Paris, 2012.

Un volume grand public permettant, à partir d’une vingtaine de situations personnelles ou d’exemples concrets, de remettre en lumière quelques épisodes peu connus de la Première Guerre mondiale, de la question du « pantalon rouge » en août 1914 à l’acceptation de l’armistice par von Lettow-Vorbeck en Afrique orientale, après la fin des hostilités sur le théâtre ouest-européen.

 

Couverture de l'ouvrage 'Mon commandement en Orient'Mon commandement en Orient, édition annotée et commentée des souvenirs de guerre du général Sarrail

14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2012

Le texte intégral de l'édition originale, passé au crible des archives publiques, des fonds privés et des témoignages des acteurs. Le récit fait par Sarrail de son temps de commandement à Salonique (1915-1917) apparaît véritablement comme un exemple presque caricatural de mémoires d'autojustification a posteriori

 

 

Coordination et direction d’ouvrages

 

Destins d’exception. Les parrains de promotion de l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr

SHAT, Vincennes, 2002.

Présentation (très largement illustrée, 139 pages) des 58 parrains qui ont donné leur nom à des promotions de Saint-Cyr, entre la promotion « du Prince Impérial » (1857-1858) et la promotion « chef d’escadrons Raffalli » (1998-2001).

 

fflLa France Libre. L’épopée des Français Libres au combat, 1940-1945

SHAT, Vincennes et LBM, Paris, 2004.

Album illustré présentant en 191 pages l’histoire et les parcours (individuels et collectifs) des volontaires de la France Libre pendant la Seconde guerre mondiale.

 

marque courageLa marque du courage

SHD, Vincennes et LBM, Paris, 2005.

Album illustré présentant en 189 pages l’histoire des Croix de Guerre et de la Valeur Militaire, à travers une succession de portraits, de la Première Guerre mondiale à la Bosnie en 1995. L’album comporte en annexe une étude sur la symbolique, les fourragères et la liste des unités d’active décorées.

 

  90e anniversaire de la Croix de guerre90-ANS-CROIX-DE-GUERRE.jpg

SHD, Vincennes, 2006.

Actes de la journée d’études tenue au Musée de l’Armée le 16 novembre 2005. Douze contributions d’officiers historiens et d’universitaires, français et étrangers, de la naissance de la Croix de guerre à sa perception dans la société française, en passant les décorations alliées similaires et ses évolutions ultérieures.

 

france grèceLes relations militaires franco-grecques. De la Restauration à la Seconde guerre mondiale 

SHD,Vincennes, 2007.

Durant cette période, les relations militaires franco-grecques ont été particulièrement intenses, portées à la fois par les sentiments philhellènes qui se développent dans l’hexagone (la France est l’une des ‘Puissances protectrices’ dès la renaissance du pays) et par la volonté de ne pas céder d’influence aux Anglais, aux Allemands ou aux Italiens. La campagne de Morée en 1828, l’intervention en Crète en 1897, les opérations en Russie du Sud  en 1919 constituent quelques uns des onze chapitres de ce volume, complété par un inventaire exhaustif des fonds conservés à Vincennes.

 

verdunLes 300 jours de Verdun

Editions Italiques, Triel-sur-Seine, 2006 (Jean-Pierre Turbergue, Dir.).

Exceptionnel album de 550 pages, très richement illustré, réalisé en partenariat entre les éditions Italiques et le Service historique de la Défense. Toutes les opérations sur le front de Verdun en 1916 au jour le jour.

 

DICO-14-18.jpgDictionnaire de la Grande Guerre

(avec François Cochet), 'Bouquins', R. Laffont, 2008.

Une cinquantaine de contributeurs parmi les meilleurs spécialistes de la Grande Guerre, 1.100 pages, 2.500 entrées : toute la Première Guerre mondiale de A à Z, les hommes, les lieux, les matériels, les opérations, les règlements, les doctrines, etc.

 

fochFerdinand Foch (1851-1929). Apprenez à penser

(avec François Cochet), 14/18 Editions - SOTECA, Saint-Cloud, 2010.

Actes du colloque international tenu à l’Ecole militaire les 6 et 7 novembre 2008. Vingt-quatre communications balayant tous les aspects de la carrière du maréchal Foch, de sa formation à son héritage dans les armées alliées par des historiens, civils et militaires, de neuf nations (461 pages + 16 pages de bibliographie).

Sur la toile