Mémoires
Colonel Jean Leddet, 1878-1958
Publiés en 2011 avec un tout petit tirage, ces souvenirs du colonel Leddet ne semblent pas avoir été destinés à être largement diffusés, ce qui est dommage. Ils sont complétés par Lignes de tir, les carnets d’un artilleur pendant la Grande Guerre que nous chroniquions le 12 octobre 2012 (ici) et qui ne sont que résumés dans ce volume.
Revus et mis en page par sa famille, ces souvenirs ont été rédigés a posteriori, au cours des années 1940-1950, et, après une présentation de la famille du futur colonel Leddet au XIXe siècle, ils couvrent l’ensemble de sa carrière militaire. A la suite de sa formation à Polytechnique puis à Fontainebleau (il choisi l’artillerie par goût pour … l’équitation), il rejoint un premier régiment à Bourges. Dès les premières pages, le ton est libre, le propos vif et les souvenirs visiblement précis. Le portrait qu’il dresse du (malheureux) général commandant la 16e division et sa description des grandes manœuvres valent réellement le coup… On comprend beaucoup mieux les limogeages du début de la Grande Guerre ! C’est ensuite le camp de Châlons (« un peu une garnison de pénitence »), dont le colonel fait espionner ses cadres, avec au passage quelques anecdotes (dont une croustillante concerne directement le général Herr) ; puis Rennes juste avant la Grande Guerre, avec presque plus de détails sur la vie sociale de garnison que sur la formation et l’entrainement au régiment, ce qui témoigne en creux de l'importance relative des deux activités...
Le récit reprend donc avec l’annonce de l’armistice (une surprise pour lui), l’affectation au 452e RAL (« Un vrai régiment de Bohémiens ») et une succession rapide de déplacements et de garnisons (Angoulême, Strasbourg, Neustadt en occupation en Allemagne -avec un portrait au vitriol du général Alexandre qui commande alors l’artillerie du 32e corps-) et des qualificatifs peu élogieux pour les unités qui composent l’armée du Rhin. Affecté à Metz (alors la plus grosse garnison de France) dans une unité de DCA, il y croise de nombreux officiers, parmi lesquels de Barescut et de Lardemelle, et n’hésite pas à présenter la misère matérielle et d’équipement des régiments de l’entre-deux-guerres. D’autres affectations, d’autres chefs, d’autres camarades au cours des années qui suivent, dont un séjour au 40e d’artillerie nord-africaine au camp de Châlons, sous les ordres du général Pichot-Duclos commandant la 2e DINA, et ici un avis très réservé sur les gradés indigènes : « Nous sommes obligés d’avoir dans nos régiments nord-africains ou coloniaux, une quantité de cadres très supérieure à celle qu’emploient les Anglais pour leurs régiments hindous par exemple … Ces braves gradés indigènes se conduisaient quelquefois très bien pendant des mois et des années, puis, d’un coup, faisaient les pires bêtises : alors one les cassait et puis, au bout de cinq à six mois, quand ils avaient fait amende honorable, on les renommaient, etc. ». Il s’insurge contre le poids de la routine dans les activités et s’étonne des carences de l’instruction. La deuxième moitié des années 1930 est marquée par une succession de réorganisations et il quitte le service pour un emploi civil en 1937 : « J’avais toujours appréhendé le moment où je quitterais l’armée, où j’avais vécu pendant 36 ans et qui m’avait imprégné jusqu’aux moelles de sa mentalité particulière … Rentrant chez moi, je quittais mes vêtements militaires, croyant bien que c’était pour toujours : je ne croyais pas devoir les reprendre, et pour de bon, 18 mois plus tard ». Son récit de la « drôle de guerre », résumé par sa fille, fait la transition avec les derniers chapitres, consacrés à la campagne de mai-juin 1940 (« 16 mai : Hier soir, les nouvelles étaient bonnes. On avait réduit en partie la poche de Sedan. Aujourd’hui, c’est moins brillant »), avec les observations indignées ou désabusées sur une situation qui devient « abracadabrante ». Les fausses alertes aux avions et aux parachutistes se succèdent, et il est nommé, le 8 juin ( ! ), commandant de la défense de Châlons, « ce qui ne m’enchante point, n’ayant jamais organisé de défenses d’infanterie et n’ayant comme troupes qu’un bataillon d’instruction et deux compagnies du 64e régional, sans un seul canon de 25 ». L’ouvrage se termine sur quelques descriptions mi-amusantes, mi-affligeantes de la situation durant l’Occupation, la Libération (« le pays n’a pas dessoûlé pendant trois jours ! ! ! ») et au cours des premières années d’après-guerre avec les questions politiques nationales et locales.
Bref un récit parfois décapant, souvent surprenant. Si par hasard vous pouvez vous procurer ce livre, surtout n’hésitez pas, il est, à bien des égards, aussi original qu’intéressant !
Editions Anovi, 2011, 421 pages, 40 euros.
ISBN : 978-2-914818-51-3.